Famine is on fire.
Après la gouaille anarcho facho des Pastoureaux, démonstration insolente de songwriting hors-pair brassant les genres tel un gruit pestilentiel, KPN remonte le temps en sublimant leur plus louable trait: ce pouvoir d’évocation mesmérien de ces temps reculés, souvent fantasmés, communément appelés Moyen Âge. Car, avant d'être l'incarnation du turbo faf testo en survet Adidas, Peste Noire c'est d'abord une peinture de Bruegel qui s'agite de spasmes poisseux, une image d'Épinal ou Feu François Villon, crane fraichement rasé, se balance au bout d'une corde sous le rictus grimaçant d'une gargouille de clocher, un palimpseste corné d'arsenic ou se mêle visions extatiques et vomissures fielleuses, Peste Noire c'est le claudiqueux, le bossu, le cabossé sous le couchant d'un soleil torve qui ensanglante les murs de quelque abbaye oubliée aux buchers encore fumants.
Ce premier livre, Antioche, reprend donc cette empreinte médiévale si caractéristique de KPN mais cette fois, le propos se veut plus conceptualisé, presque érudit, comme quoi on peut péter des mâchoires et lire des livres aussi. Antioche retrace le parcours de celles et ceux qui foulèrent les chemins ronceux de la première croisade, cet incroyable soulèvement de toute la Chrétienté pour libérer le tombeau du Christ, soubresaut inconcevable pour nos cerveaux ramollis d'occidentaux contemporains dont le cœur palpite a la cadence du débit Wifi de nos ronronnants foyers (est-ce un mode de vie pour autant moins louable que de jouer à Sons of Anarchy dans les montagnes Savoyardes?). Fi de l'oriflamme qui claque aux quatre vents, fi des Templiers à la cotte de maille rutilante (bien qu'il me semble les apercevoir sur la gravure du CD), ici, c'est le pécore à la fourche mal affutée et aux guenilles pendelantes qui est a l'honneur, "des nuées de ribauds et va-nu-pieds" nous dit Famine, bref le Peuple. Nul doute qu'il était aussi un de ceux qui, il y a bien longtemps, ont pris ces routes aux périls de leur vie pour bien souvent n'y encontrer que rapine et dysenterie pour les plus chanceux d'entre eux (dont il faisait probablement partie tant il est aisé de l'imaginer accroupi dans les fourrés cul béant et regard béat).
L'objet, d'abord, est superbe : un ouvrage aux enluminures BM qui renferme, o joie, un essai aux pourtours biographiques de la Peste Nègre par son géniteur, dont on apprend par ailleurs, spoiler alert, qu'il exerçait la profession de plagiste, métier le moins black metal du monde s'il en est. Une plume incisive dont nous avions déjà pu mesurer la teneur acide à la lecture, toujours gargarisantes, des interviews de l'infréquentable suprémaciste Aryen, La Sale Famine de Valfunde. Humour au vitriol, voire franchement potache, au service d'un argumentaire solide sur la définition même de ce qu'est le black metal (que nous ne déflorerons pas ici pour votre propre plaisir). Vaste sujet qui trouve ici une voix a la (dé)mesure du propos, car chez Peste Noire, les textes (chantés ou non) ont toujours occupé une place centrale sans jamais se départir d'une vraie qualité littéraire, entendons par là : un style. Qui dans la scène black metal d'aujourd'hui peut s'en targuer (et nous ne ferons point l'affront de mentionner ici la scène NSBM et son désert abrahamique lyrical)? Les saillies d'esprit drolatiques de Famine planent bien haut au-dessus de la masse de ses cohortes qui, j'en suis sûr, n'en saisiront pas toujours les subtilités sémantiques.
Il est ici question d'atavisme, de Robert Johnson, d'Hendrik Mobus, de compagnonnage, de péter à table... Bref, un joyeux bordel rabelaisien au name-dropping improbable, avec un sens de la formule, et parfois meme du raccourci, avouons-le, qui tache comme du gros rouge. Au final, vous l'aurez compris, cette définition, ou plutôt cette vision, du black metal lorgne du coté cradingue de la chose. La lecture jubilatoire dudit essai vous prendra plus longtemps que l'écoute de celui-ci (voire beaucoup plus en fonction de votre capital béotien) et il s'agit d'un appendice totalement indissociable de son pendant musical, ceux qui en critiquaient le prix (fort élevé certes) sont je pense des illettrés notoires ou pire, des lecteurs de blogs musicaux.
Musicalement, il vous faut prendre le temps d'écouter cet Antioche aux arrangements de maitre : au détour des ruelles, a la traversée d'un champ, sur une départementale oubliée... Le disque, une invitation au voyage dans le temps comme dans l'espace, marche mieux en mouvement. Pour l'essentiel, la musicalité de cet opus très théâtral est plus proche de la ristourne médiévale que du true pagan black metal. Amateur de blast-beats en rafales, passez votre chemin, ici, on roule les "R" sur des textes en vieux François ou en latin sur fond de musette punk, fifres en avant. De la ritournelle black médiévale sans complexe et totalement assumée avec, tout de même, une montée de sève en fin de parcours, sonnez trompettes, sonnez tambours... Pour autant, impossible de se tromper, c'est de la Peste pur jus et le sujet, cela ne vous aura pas échappé, n'est bien sûr pas anodin : d'aucuns dresseront ici moult parallèles avec notre époque actuelle et ses propres chocs civilisationnels (pour peu qu'ils eussent un jour cessé).
Question atmosphère, cependant, nous aurions aimé nous perdre un peu plus longtemps dans ces ruelles d’Antioche plongées dans une froide brume, guidé par l’écho vaporeux d’une cloche d'église et les effluves nauséabondes des latrines. Dix-huit minutes, c'est court, la plèbe n'aura pas manqué de le noter et force est d'agréer que certains passages d'ambience auraient gagner a trainer quelque peu en longueur, les 10 premieres secondes du disque pourraient se muer en 3 longues minutes que je n'y trouverais rien a y redire. Las, ce n'est pas de la sorte que KPN a décidé d'aborder le sujet, place donc au cabotinage endiablé, une gigue fiévreuse qui vous esbaudit et repart aussi vite qu'elle est venue.
Le tour de force, en ce qui nous concerne, réside dans le phrasé et lignes de voix de Famine, qui a sans nul doute acquis en compétence en s'essayant au rap, tantôt chansonnier, tantôt comédien de vaudeville, tantôt flibustier punk, une voix véritable, unique, estampillée KPN sans aucune équivoque possible. Les racines sont black (number one) mais on est ici au rayon geste populaire pour croisés et, même si la structure est totalement hors-norme, il y a fort à parier que certains passages de cet opus pourrait s'immiscer tranquille entre deux tracks d'apéro fac de lettres sans qu'on ne le remarquasse. Pour autant, KPN est plus isolé que jamais, seul dans ce monde qui est le sien, trônant, semblable à nul autre pareil et comme toujours oscille entre le grivois et le sublime, la gueule dans le caniveau mais les yeux levés vers le ciel.
Il y a longtemps Famine révélait la Marmaille Nue de Mano Solo comme l'un de ses albums de chevet, un jour, revenu de ses postures Alpha, il écrira des chansons qui vous brisent le cœur, en attendant il vous file la trique, c'est toujours ça de pris...
Simon
Peste Noire, Antioche, disponible en CD + Livre chez La Mesnie Herlequin.
Peste Noire sur Discogs.
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